A propos de la classe dominante…

Mardi 15 avril 2013.

N’y avait-il pas là quelque chose de prémonitoire ?
Extrait de “Sans concession” Page 115, chapitre “Aller retour”. René Balme, conversation avec Thierry Renard, page 115.

Publié à La Passe du vent. ISBN 978-2-84562-234-0. 13€

Thierry Renard – La bourgeoisie d’affaires, actionnaire, propriétaire et financière, méprisante et triomphante, reste la classe dominante. Et, pour ma part, je me sens plutôt solidaire des classes laborieuses, des exploités, des chômeurs, des exclus, exilés et étrangers – en situation forcément
irrégulière… Je me sens proche de tous les démunis de la terre,
prolétaires et sous-prolétaires. Je parle leur langue, je bois leur vin et
je mange le même pain qu’eux. Dans cette période meurtrie, où les
« affaires » pleuvent et ternissent notre printemps, comment analyses-tu la situation, comment envisages-tu l’évolution des choses ? Notamment, après les aveux de Jérôme Cahuzac, suite aux éléments révélés depuis plusieurs mois par Mediapart, penses-tu que notre pays est véritablement au bord de la crise de nerfs et de régime ? Comme tu sais, à l’époque romaine, les notables qui avaient sali la république (je n’ose même plus utiliser la majuscule), pour laver leur honneur et sauver l’honneur de leurs proches, s’installaient confortablement dans un bain chaud avant de s’ouvrir les veines…

René Balme – Rassure-toi, ils ne s’ouvriront ni les veines ni se repentiront.
J’ai parlé plus avant de la consanguinité qui existe au sommet de
l’état. J’englobe, dans cette « équipe », les politiques, les affairistes,
la presse et le show-business. Ces gens-là sont dans la toute puissance.
Tout leur est dû et tout leur appartient. Ils sont particulièrement
coupés de la réalité des choses et notamment de la vraie vie, celle
dont tu parlais dans ton propos. Ils croient appartenir à la caste des
intouchables et que rien ne peut leur arriver. Sauf qu’ils on oublié,
dans leur confort et leur bêtise crasse, qu’il sont dans une jungle où
chacun « la joue personnelle » et que c’est à celui qui dézinguera
l’autre pour lui prendre sa place, sa femme, sa fortune, voire sa vie.
Ils ne sont pas dans le monde réel, ne peuvent pas le comprendre,
ne l’ont jamais fréquenté et je pense que, pire que tout, ils détestent
le peuple qui leur permet d’exister.

Ce qui se joue, en ce moment, au-delà des affaires et de la crise
qu’elles engendrent, pas seulement en France, c’est, je pense, la mise
en place d’une nouvelle gouvernance qui pourrait être beaucoup plus
totalitaire que ce que nous connaissons aujourd’hui. Le capitalisme
a un projet de société. Écrit de longue date, il suppose, soit une
instabilité politique permanente qui donne les plein-pouvoirs à
l’administration – et l’Italie en est un exemple – soit un gouvernement
ferme et stable capable de porter ce projet, à la Thatcher, sans faillir.
Je ne sais pas ce que va enfanter la crise que nous traversons, mais à
défaut d’instabilité chronique ou d’absence de gouvernance, il ne faut pas exclure la prise du pouvoir par les extrêmes droites qui, aujourd’hui, ont un discours policé leur permettant d’avoir une tribune
médiatique au même titre que les autres formations politiques. Et il
faut reconnaître que ces extrêmes droites fascisantes se sont
appropriées un certain nombre d’idées traditionnellement portées
par la gauche, de telle sorte qu’il devient de plus en plus difficile de
les défendre quand on est véritablement de gauche, au risque d’être
traité… d’extrémiste de droite, de rouge-brun. Au delà de la bataille
des idées, il y a celle de la sémantique et de l’appropriation d’un
vocabulaire qui devient fortement connoté. Cette appropriation du
mot – qui a plus de valeur que celle des idées – est une stratégie
particulièrement réfléchie et perverse, me semble-t-il, et qui doit nous
interpeller, nous les poètes, les écrivains, car c’est de nos outils dont
il s’agit.

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